Marcus Ehning n’est pas connu comme le plus expansif des cavaliers, alors le voir éclater de joie, le poing serré, et enlacer l’encolure de son étalon Stargold après un barrage victorieux dans le Grand Prix du CHIO d’Aix-la-Chapelle devant son public est un moment rare qu’il faut savourer à sa juste valeur. Le Centaure, surnommé comme tel pour sa complicité unique avec ses montures, entre dans le club très fermé des triples vainqueurs de ce Grand Prix très couru et c’est pourtant la même joie qui a éclaté à chacune de ses victoires, comme s’il était impossible de s’en lasser.
L’euphorie démontrée hier après-midi sur le stade de la Soers est en effet à l’aune de l’exploit du pilote allemand, qui entre un peu plus dans la légende des sports équestres en remportant cette épreuve jugée comme étant l’une des plus difficiles au monde, et pour cause : deux manches attendaient les cavaliers, avec les dix-huit meilleurs de la première prenant part à la seconde, puis un barrage en cas d’égalité. Et il fut long, le chemin jusqu’au sans-faute, compte tenu de l’immensité de la piste en herbe au cœur de tribunes ayant accueilli plusieurs dizaines de milliers de spectateurs : le chef de piste allemand Frank Rothenberg avait en effet concocté un parcours de 14 obstacles avec 17 efforts, avec un double en début d’épreuve, la rivière et un triple en antépénultième effort.
On n’a toutefois pas enregistré de performances catastrophes ni d’accidents, et les fautes ont été réparties sur l’ensemble du parcours, même si certains obstacles ont occasionné plus d’erreurs que d’autres. Ainsi, c’est le double composé d’un oxer sur bidet et d’un vertical aux couleurs orangées qui a entraîné des fautes de Viktoria Gulliksen (Equine America Papa Roach), Grégory Wathelet (Ace Of Hearts) ou encore Scott Brash (Hello Jefferson). Le triple a aussi fait son quota de victimes, parmi lesquelles on a compté Jose Maria Larocca (Finn Lente), Donald Whitaker (Di Caprio), Mégane Moissonnier (Cordial) et Harry Charles (Casquo Blue). Le dernier oxer aux couleurs de Rolex, placé dans une ligne légèrement en descente aux foulées pas si évidentes, a aussi occasionné des dégâts pour Laura Kraut (Baloutinue), Petronella Andersson (Castres van de Begijnaker Z) et Koen Vereecke (Kasanova de la Pomme). Le tribut le plus lourd est à mettre au compte de McLain Ward et sa crack HH Azur, venus en Allemagne avec le pesant titre de prétendant au Grand Chelem sur les épaules : vainqueurs à Genève et à Bois-le-Duc, le duo américain pouvait écrire l’histoire en devenant le deuxième couple à remporter trois Majors du circuit Rolex après Scott Brash et l’inoubliable Hello Sanctos. La SBS de 17 ans a été préservée tout au long de l’année en vue de cette échéance, mais la dure réalité est venue fracasser les rêves du pilote des Etats-Unis : avec une barre sur les numéros 3 et 4, il a préféré abandonné et préserver sa complice qui lui a déjà tant donné, annonçant par ailleurs sa retraite le lendemain.
Néanmoins, douze couples ont su trouver la voie du sans-faute, à commencer par Olivier Perreau et l’excellente GL Events*Dorai d’Aiguilly. En effet, le Rhônalpin et sa jument née à la maison, ouvreurs de l’épreuve, ont signé un impressionnant sans-faute qui confirme leur récente montée en puissance ! Lors de la deuxième manche, peut-être sous l’effet de la fatigue, la jument a buté sur l’oxer numéro 3 puis le fameux double de bidets d’Aix placé en numéro 4, refusant d’en sauter le premier élément : Olivier Perreau a donc préféré abandonner pour préserver sa baie qui avait déjà fait montre de toute l’étendue de son talent. Ce redoutable double a aussi été fatal aux vainqueurs 2022 Gerrit Nieberg et Ben 431, qui ne pourront prétendre à un doublé que peu ont été capables d’accomplir. Le nouveau triple de seconde manche, aux couleurs de la ville d’Aix-la-Chapelle et placé le long des tribunes, a chu sur le passage d’Eduardo Alvarez Aznar (Bentley de Sury), Richard Vogel (United Touch S), Hans-Dieter Dreher (Elysium) et Yuri Mansur (Miss Blue Saint Blue Farm). Steve Guerdat (Dynamix de Belheme), Ben Maher (Dallas Vegas Batilly) et Jens Fredricson (Markan Cosmopolit) se font fait piéger respectivement sur le mur, le large oxer Mercedes et le dernier oxer Rolex, les empêchant donc de prendre part au barrage après de magnifiques sans-fautes en première manche.
Simon Delestre (Dexter Fontenis Z) et Martin Fuchs (Leone Jei) ont quand à eux suivi le chemin inverse : fautifs en première manche, ils ont redressé la barre pour être sans-faute en deuxième manche, mais cela ne suffira pas pour prendre le départ de la dernière étape. Le moment le plus rageant peut-être est celui qu’ont vécu les vainqueurs du Grand Prix de La Baule il y a quelques semaines, Nicola Philippaerts et Katanga van het Dingeshof, qui écopent d’un point de temps lors du deuxième round après leur parcours exemplaire en première manche.
Au final, cinq couples ont réussi l’exploit du double sans-faute et se sont affrontés au barrage : le Mexicain Eugenio Garcia Perez (Contago), le Brésilien Rodrigo Pessoa (Major Tom) et les Allemands Marcus Ehning (Stargold), Philipp Weishaupt (Zineday) et Daniel Deusser (Killer Queen VDM), ces quatre derniers ayant remporté ce même GP en 1994, 2006 et 2018, 2016 et 2021, soit une concurrence de taille ! Parti tambour battant, le pilote mexicain et son aérien fils de Cornet Obolensky, qu’on n’attendait pas dans le dernier carré, laissent malheureusement une barre à terre mais graveront dans les mémoires leur impressionnante performance allemande, se classant finalement cinquièmes. Ce même oxer tombera aussi sur le passage de Philipp Weishaupt et de son jeune alezan ce qui les relègue à la troisième place, une performance qui ravit tout de même le cavalier : « Je suis vraiment aux anges, Zineday n’a que 9 ans et il a montré qu’il avait vraiment des qualités incroyables aujourd’hui ! Si j’avais un peu mieux travaillé ma dernière ligne, Daniel et Marcus auraient eu du souci à se faire, il faut qu’on travaille encore sur sa foulée qui est vraiment ample mais je suis très heureux quand même. » Rompu à l’art du tracé dans le barrage, Rodrigo Pessoa est quant à lui fautif sur le deuxième oxer du parcours raccourci et se contente de la quatrième place, mais il peut se satisfaire du talent qu’a démontré son fils de Vagabond de la Pomme et qui réitèrera indubitablement de telles démonstrations.
Il faudra attendre Daniel Deusser, avant-dernier à s’élancer, pour voir le premier triple sans-faute de l’après-midi. Profitant de l’ample foulée de sa grande baie, la « reine tueuse », le cavalier des écuries Stephex a coupé les cellules en 45’73, un chronomètre qui pouvait être battu, restait encore à le faire ! C’est donc ce à quoi s’est employé Marcus Ehning, juché sur son fils de Stakkato Gold agile comme un chat et bien décidé à ne laisser aucune barre à terre. Et quand on connaît le sens du tracé qui a permis au Centaure de remporter de nombreux Grands Prix ces dernières décennies… On ne fut donc presque pas étonné de voir s’afficher sur l’écran le temps de 45’12, célébré par l’une des fameuses ruades de l’étalon, le poing serré levé en l’air de son cavalier et le rugissement de joie du public, ravi de voir l’un des siens s’imposer dans son temple des sports.
« Stargold est vraiment extraordinaire, a déclaré le vainqueur en conférence de presse, semblant encore sous le coup de l’émotion de sa victoire. Il s’était blessé après Doha (après avoir remporté le GP du CSI5*, ndlr), mais il est en grande forme et expérimenté ; il s’est bien remis en route en juin, où nous avons été troisièmes du Grand Prix du LGCT de Stockholm, donc je ne me faisais pas trop de soucis concernant son état et il l’a bien montré ! » « Je suis un peu partagé sur ma performance, j’aurais bien aimé remporter ce Grand Prix une deuxième fois, a quand à lui plaisanté Daniel Deusser, bon deuxième derrière son compatriote. J’aurais pu être plus rapide à certains endroits en enlevant des foulées mais je sais que Marcus aurait fait la même derrière moi et aurait aussi été plus rapide, et je suis tout de même content de cette deuxième place et de la manière dont Killer Queen a sauté. » Avec cet triplé allemand se tourne donc une nouvelle page du livre d’Aix-la-Chapelle et s’ouvre une nouveau chapitre des Rolex Majors, dont le nouveau personnage principal est devenu Marcus Ehning. La route de l’Allemand semble se tracer vers Calgary et l’immense piste de Spruce Meadows, prochaine étape du grand chelem Rolex duquel il devient le prétendant. Rendez-vous en septembre au Canada pour voir si le Centaure sera à l’hauteur du rendez-vous !
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